Le rapport “2023 State of the Industry Report: Cultivated Meat and Seafood” vient d’être publié par le Good Food Institute (GFI). Ce document offre une analyse complète de l’évolution de l’industrie de la viande cultivée pour 2023 et donne quelques perspectives pour les années qui viennent. Je vous propose une courte synthèse de ces différentes parties.

Le secteur et les entreprises

L’industrie de la viande cultivée a franchi des étapes importantes en 2023 vers la commercialisation et l’acceptation par le grand public. Pour la première fois, des produits de viande cultivée ont été servis dans des restaurants aux États-Unis. Ces produits, notamment le poulet cultivé par UPSIDE Foods et GOOD Meat, ont été introduits dans des établissements renommés, attirant l’attention des médias et du public. Simultanément, Singapour a vu l’ouverture de la première boucherie vendant de la viande cultivée, augmentant ainsi la visibilité et l’accessibilité de ces produits.

Plusieurs inaugurations d’installations dédiées à la production de viande cultivée à travers le monde se sont déroulées cette année, couvrant diverses phases de production, du laboratoire à l’échelle commerciale. Nous avons par exemple la nouvelle usine de Mosa Meat aux Pays-Bas et l’usine de CellX à Shanghai. Ces développements suggèrent une accélération de la capacité de production qui est cruciale pour répondre à la demande future.

L’implication croissante de grandes entreprises agroalimentaires tels que JBS, Danone ou Tyson souligne un intérêt croissant des acteurs établis dans le secteur agroalimentaire. Ces entreprises apportent non seulement des investissements financiers, mais aussi une expertise en matière de production à grande échelle et de distribution, essentielle pour l’adoption généralisée de ces technologies.

Le nombre d’entreprises du secteur de viande cultivée a légèrement augmenté en 2023, passant de 166 en 2022 à 174 en 2023. C’est le plus faible nombre de créations depuis 2016. Le rapport note une transformation du secteur avec de plus en plus d’entreprises qui se concentrent moins sur les produits finis, mais plutôt sur les intrants et les processus intermédiaires tels que la conception de bioréacteur ou le développement de lignées cellulaires. Cela semble montrer à la fois un certaine résilience dans un moment de financement difficile et une structuration du secteur en véritable filière de production.

Coté consommateurs

Malgré la communication sur le secteur et les quelques produits mis sur le marché, la familiarité des consommateurs avec la viande cultivée reste très faible. Les études montrent que seulement une petite fraction de la population mondiale comprend ce qu’est réellement la viande cultivée et comment elle est produite. Cependant, la volonté de la gouter est en hausse, reflétant une curiosité croissante parmi les consommateurs. (le pourcentage de consommateurs ouverts à l’idée de goûter à la viande cultivée a presque doublé par rapport aux années précédentes). Cet intérêt est particulièrement élevé chez les jeunes générations et les consommateurs qui adoptent déjà des régimes flexitariens.

La terminologie utilisée pour décrire la viande cultivée joue un rôle crucial dans son acceptation. Le terme “cultivée” est préféré à d’autres comme “viande de culture cellulaire” ou “viande de laboratoire”, car il évoque une image plus naturelle et moins industrielle. Les études suggèrent que les consommateurs trouvent le terme “cultivée” plus attrayant et sont plus susceptibles de l’accepter sur l’étiquetage des produits.

Les motivations pour essayer la viande cultivée incluent la curiosité, les avantages environnementaux, la réduction de la cruauté animale et les bénéfices pour la santé. Cependant, les barrières à l’adoption restent importantes, notamment les inquiétudes concernant le goût, la texture et le coût.

Aperçu des financements

L’année 2023 a été particulièrement compliquée pour le secteur en termes de financement. Les entreprises ont levé 225,9 millions de dollars, un chiffre notable, mais très inférieur aux 922,3 millions de dollars collectés en 2022. Si les investissements dans les secteurs technologies ont globalement baissé de 50%, dans le secteur de la viande cultivée, l’investissement chute de 70% environ.

Le rapport indique que la plus importante levée de l’année a été celle de Meatable avec 35 millions de dollars en série B. Bien que moins spectaculaire que les grandes levées de fonds des années précédentes, cet investissement montre la volonté d’un certain nombre de fonds de consolider leur investissement. La diversification des investisseurs et l’engagement de nouveaux acteurs financiers (corporate venture en particulier) dans l’espace des protéines alternatives restent un signe positif pour la croissance future de l’industrie.

Science et technologie

L’écosystème scientifique autour de la viande cultivée est en croissance rapide, avec de plus en plus d’universités et de centres de recherche dédiés à cette technologie. La collaboration internationale entre les institutions académiques et les entreprises a stimulé la recherche et le développement, avec une hausse significative des publications scientifiques et des financements de programmes de recherche.

Une des principales barrières à l’adoption de la viande cultivée est son coût de production élevé. En 2023, plusieurs études ont mis en avant des méthodes potentielles pour réduire significativement les coûts des médias de culture, qui représentent une part importante des coûts globaux. L’utilisation d’ingrédients non-animaux et de composants de qualité alimentaire (food grade) pour ces milieux a été un domaine actif d’innovation.

Les technologies évoluent également, avec des progrès notables dans la création de structures de viande plus complexes et plus proches des textures et saveurs de la viande traditionnelle. Le développement de produits hybrides, combinant des éléments cultivés et des ingrédients végétaux, a par ailleurs été exploré comme une stratégie pour améliorer l’acceptation des consommateurs tout en optimisant les processus de production. Le rapport note par ailleurs des progrès significatif dans la mise à disposition de banques de cellules animales dédiées et optimisées pour la production de viande cultivée.

Il reste cependant encore de nombreux challenges à relever pour associer tous les éléments précédents dans un processus de production réellement efficace. Mais le rapport souligne que ces challenges sont les mêmes que ceux de la médecine régénérative. Les deux secteurs pourraient donc se renforcer l’un l’autre et avancer plus rapidement que prévu.

Notons enfin que si les processus de mises sur le marché de quelques produits de viande cultivée ont montré l’équivalence de ces produits avec la viande traditionnelle sur les plans de la sécurité alimentaire et de valeur nutritionnelle, il reste beaucoup de travail sur les impacts environnementaux. Plusieurs projets sont en cours actuellement pour produire des analyses de cycle d vie (life cycle assessments ou LCA) qui répondront à cette question cruciale.

Gouvernements et réglementations

En 2023, l’annonce majeure en matière de réglementation est venue des États-Unis où la viande de poulet cultivée a été approuvée pour la consommation. Cette étape historique a marqué un tournant, ouvrant la voie à d’autres approbations dans des marchés clés. Israël a également avancé dans la réglementation de la viande de bœuf cultivée, devenant le premier pays à approuver ce type de produit. La coopération globale en matière de réglementation et de normes de sécurité alimentaire a été un autre thème important de l’année. Des forums internationaux et des groupes de travail ont été formés pour harmoniser les approches réglementaires, un pas nécessaire pour faciliter le commerce international des viandes cultivées et assurer la sécurité des consommateurs à l’échelle mondiale.

2023 a vu un engagement accru des gouvernements dans le financement de la recherche et le développement des infrastructures de production pour la viande cultivée. Des investissements substantiels ont été annoncés au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Corée du Sud et dans d’autres régions, démontrant une volonté politique de soutenir cette industrie naissante. Ces investissements sont en lien avec une volonté de souveraineté de plusieurs pays fortement dépendants des importations alimentaires.

Perspectives

L’année 2024 est anticipée comme une période de croissance continue, malgré un environnement de financement qui reste difficile. Les avancées dans la réglementation et les progrès technologiques devraient permettre à plus de produits de viande cultivée d’atteindre le marché, dans plus de pays, augmentant ainsi la visibilité et la disponibilité pour les consommateurs. De plus, l’expansion des installations de production et l’intensification des efforts de recherche et développement sont attendues pour répondre à la demande croissante et améliorer les processus de fabrication.

À plus long terme, les projections sont difficiles pour un secteur qui n’existe véritablement que depuis 10 ans. Le chemin sera clairement long pour arriver à des produits comparables sur tous les plans à la viande traditionnelle. Le rapport fait un parallèle avec l’industrie de l’ingénierie tissulaire qui, aprés 40 ans de développement, n’est toujours pas mature.

Le rapport appelle à une action coordonnée entre les gouvernements, les industries, et les communautés scientifiques pour promouvoir les protéines alternatives comme une partie intégrante de la solution aux défis alimentaires et environnementaux mondiaux. Un soutien accru, tant sur le plan réglementaire que financier, est jugé essentiel pour permettre à l’industrie de la viande cultivée de réaliser son plein potentiel transformateur.